Evasion en duo

Le grognement sourd et habituel de Triwulff se répercuta sur les murs, tandis qu'un autre prisonnier entrait dans sa cellule. L'homme-loup n'avait pas encore vu qui venait de rentrer et s'enterrait sous ses couvertures. Les matons préféraient ne pas le provoquer, et il échappait ainsi aux tâches que devaient remplir habituellement les prisonniers enfermés dans la Zig.

- "Keep cool, mec. Ce n'est que moi." répondit Irvin Gassner.
- "Ah, c'est toi. Je croyais qu'ils allaient encore me coller un quéquet dans ma piaule !"
- "T'étais donc pas en état bestial quand t'as savaté l'autre Krâne ?"
- "Nan. Mais j'aime leur faire croire ! Comme ça, il éviteront de me coller un autre péquenot qui se croit le boss ! Qu'est-ce tu viens faire ici ?"
- "Les corvées, comme d'hab' ! Je viens récupérer les draps pour les envoyer à la blanchisserie !"
- "Okay."

Soudain, un grondement puissant parvint des entrailles de la prison et enfla jusqu'à ce que les murs se fissurent. Certaines grilles tombèrent, et le lit superposé se cassa subitement, provoquant la chute de son locataire, qui poussa un juron éloquent.

- "Merde ! C'était quoi ça ?" se plaignit Triwulff, tandis qu'il se redressait, frottant son crâne endolori.
- "Je sais pas, mais c'était puissant !" répondit Irvin.
- "S'qu'on fait ?"
- "Ben déjà sortir dans les couloirs, après, on verra !"

Tout le quartier était en état d'alerte, les gardiens donnant l'injonction à tous de regagner les cellules. Mais déjà l'émeute commençait, les rixes survenaient, le chaos total s'installait. Trois gardes furent pris d'assaut par une horde de prisonniers déchaînés, et ils ne durent leur survie qu'au renfort apporté par certains de leur collègues, venus exprès les tirer de là, pour se replier aussitôt.

- "C'est le boxon !" souligna Triwulff.
- "T'en as pris pour combien ?" questionna Irvin.
- "C'est pas le moment !"
- "C'est justement le bon moment pour ça ! T'en as pris pour combien ?"
- "Six ans. Avec les trois types que j'ai latté et celui que j'ai tué, ça risque prochainement de passer à vingt !"
- "J'en ai pour trente ! Fais ce que tu veux, mais moi, je me taille !" répondit le petit homme qui partit ensuite en courant.
- "Hé, attends-moi, mec !"

Il rattrapa son allié nain, et ensemble ils se rendirent aux vestiaires où étaient conservés les biens confisqués aux détenus. Irvin commença à farfouiller sans ménagement, frappant de temps en temps un autre prisonnier qui essayait de s'incruster dans la fouille. La place était cependant limite entre les armoires, et à deux, Triwulff et Irvin se serraient déjà.

- "Trouve pas, bordel !" grogna Irvin.
- "Tiens, mon katana ! Je le reprends !"
- "Mais où est-ce qu'ils sont, nom de D.."
- "Tu cherches quoi ?"
- "Mes p'tains de bras ! Ils m'ont coûté bonbon !"
- "Attends, je vais chercher de l'autre côté."

Ils fouillèrent encore cinq minutes les placards métalliques, renversant sans ménagement le contenu qui ne leur plaisait pas. Puis, au terme de ces quelques instants, Triwulff interpella son ami.

- "Irvin, viens voir ça ! Ce sont les tiens, de bras ?"
- "Fais voir ... non ... mais le crochet de fixation est le même ! Purée, ils sont extras ! Ils sont à qui ?"

Dans l'armoire que Triwulff venait d'inspecter se trouvaient, suspendus par les fameux crochets, deux bras mécaniques à l'apparence doré, correctement entretenus selon toute vraisemblance. En dessous, collée sur le métal, une étiquette indiquait le nom de l'ancien propriétaire.

Golder Black AKA OR NOIR

- "Golder Black ? Mais il est mort depuis cinq ans !"
- "Qui c'est ça, Or Noir ?" questionna Triwulff.
- "Un super-vilain qui a fait parler de lui aux Insoumises. Un type avec deux bras cyber en or. Les bras ont aussi une ouverture vers les énergies d'Outre-Monde. En fait, il s'est nommé ainsi à cause de son nom et de ses pouvoirs."
- "Ces bras ne sont plus à personne ?"
- "Si. Maintenant ils sont à moi !"

Après avoir mis les prothèses dorées à la place des engins ridiculement faibles qu'on lui avait placé, Irvin souria.

- "Ils me vont au poil !"
- "Fait gaffe qu'on t'appelle pas Or Noir par mégarde !" plaisanta Triwulff.
- "Aucun risque. Par contre, si on s'évade, faudra que je me trouve un surnom !"
- "On verra ça si on sort d'ici !"

Après avoir pris quelques autres affaires, dont un casque cornu qui allait parfaitement au nain, une nouvelle cavalcade conduisit les deux prisonniers vers les quartiers haute-sécurité où étaient enfermés les détenus les plus dangereux. Ici, l'évasion semblait plus organisé que dans les quartiers des droits communs. Un des prisonniers, un dénommé D.C., dirigeait apparemment les évadés vers les personnes qui faisaient sortir les détenus. Enhardi par ses nouveaux bras, Irvin s'adressa à D.C.

- "Par où est-ce qu'on sort ?"
- "Z'êtes qui, vous ? Si je vous ai pas sur ma liste, je vous aide pas !"
- "Je suis Irvin Gassner."
- "Je m'appelle Vincenzo Mogliani." fit Triwulff.
- "J'ai pas. Désolé, les gars, mais démerdez-vous ! A moins que ..."
- "Que quoi ?"
- "C'est vos vrais noms, pas vrai ? Donnez-moi vos noms de code de super-vilains, c'est les seuls que j'ai sur ma liste !"
- "Je suis Triwulff !"
- "Okay, je t'ai sur ma liste, toi, va voir Angel Lopez !"
- "Et mon pote ?"
- "C'est quoi ton surnom ?"
- "Euh ... moi ... c'est ..."

Il eu soudain un éclair, une idée totalement absurde, mais cela le frappa tellement qu'il le dit sans hésiter. Plutôt que d'essayer de trouver un nom qui pourrait être sur la liste, il venait de s'en créer un, qui collait parfaitement à son gabarit et à son caractère.

- "Je suis le Mammouth Nain !" D.C. regarda de nouveau son papier.
- "Correct ! Va voir Angel avec ton pote !"

Les deux prisonniers s'en allèrent de concert trouver l'homme qui devait les conduire à une nouvelle étape de leur évasion. Pendant qu'ils courraient, Triwulff questionna Irvin.

- "Comment tu savais que ce nom était sur la liste ?"
- "Je sais pas, c'est sorti comme ça !"
- "En tout cas, c'est un sacré coup de bol !"
- "Non."
- "Quoi ?"
- "Je vais t'en apprendre une bonne, mon vieux. Il n'y a aucun super-vilain qui s'appelle Mammouth Nain !"
- "Mais alors ... comment ?"
- "Je sais pas. Y'a quelqu'un qui savait avant moi que j'allais me surnommer comme ça !"