Energy Jane

Steel Canyon, trois heures du matin...

L'entrepôt semble abandonné depuis longtemps, mais un oeil avisé ne peut pas s'y tromper : les gangers habituels du coin ne traînent pas aux alentours. Ils savent probablement très bien à quoi s'en tenir. De toute façon, je sais moi-même ce que ce bâtiment cache. C'est bien pour ça que je suis là.

Je passe la cagoule. Combien de fois Keltra a-t-elle fait ces gestes ? Comment a-t-elle pu travailler si longtemps pour des filiales de Crey sans jamais se faire prendre ? Ca reste un mystère pour moi. Et je sais que ça ne durera pas autant pour moi. Un jour où l'autre, ça finira mal. Malgré mon entraînement, je n'ai pas ses qualités et encore moins son incroyable instinct de survie. D'ailleurs, j'aurais dû lui parler avant de venir ici. C'est ce genre d'initiatives qui causera ma perte.

Bon, pas la peine d'attendre plus longtemps. Au plus je retarde mon intervention, au plus je prends de risques. Mais, ai-je vraiment bien fait ? Est-ce que c'est la bonne solution ? Il n'est pas trop tard pour faire demi-tour... Allons ! Ne sois pas stupide. Tu as déjà fait le tour de la question. Tu sais que demain, elle ne sera plus là. C'est maintenant ou jamais. Faut y aller. Maintenant !

Je sais qu'il n'y a personne dans le bâtiment. Tout est automatisé. Mais procédure standard de Crey, ils arriveront un quart d'heure maximum après mon intrusion. Je lance le chrono. Ma montre affiche 14:59 et ça décompte...

Je décroche la première charge de mon sac à dos et je la place sur le boîtier électrique et de téléphonie. Un bond sur le toit. Pareil avec les antennes. Un nouveau bond pour m'écarter, et je déclenche la mise à feu par radio. J'ai l'impression que l'explosion doit s'entendre jusqu'à l'autre bout de la ville. 14:20, je suis à l'intérieur.

Je cours, sautant par dessus les étagères renversées et les cartons éventrés. La véritable entrée est dans la salle du fond. Lorsque j'y arrive, je fais une pause, le temps de jeter un oeil à mon poignet. 12:09. Je n'avance pas. La commande d'ouverture ne fonctionne pas. Merde ! Pas de temps pour la subtilité, un coup de pied, et le panneau vole en éclats. Je fonce. Pas de bruit à part un léger chuintement. Regard circulaire. C'est bon, il n'y a personne.

Le container de plexiglas est dans le fond. Il luit faiblement d'une lueur verte. Je pose ma main sur la paroi, juste au-dessus de l'inscription « Expérimentation KG-4986-12B ». Elle est dedans. Elle semble dormir. Un ronronnement attire mon attention. Un générateur de secours tient la cuve et les instruments sous tension. Je coupe tout.

Je sors la couverture de mon sac et je vide la cuve. Elle s'écroule. J'ouvre la trappe d'accès, lui enroule la couverture autour du corps, et débranche le tube. C'est le moment de vérité...
Elle tousse. Elle crache. Ca ne va pas fort, mais elle respire.

Je prends cette enfant qui vient de naître en travers de mes épaules. Pas évident... Un bon cinquante kilos, probablement.

08:44. Pas question de courir pour sortir avec ce fardeau. Et il faut que je dépose les bombes incendiaires piquées aux Hélions pour éviter de laisser des traces de mon passage. J'ai été bête, j'aurais dû faire ça en entrant.

01:29. Les voitures noires déboulent devant l'entrée. J'évacue en catastrophe par une fenêtre dans la ruelle latérale. Un autre bouton, et l'enfer se déclenche à l'intérieur. Mes collègues qui venaient d'entrer en courant battent en retraite. Je me glisse en douceur dans la direction opposée.

Dix minutes plus tard, je suis en sécurité. Exfiltration réussie.

Base des Vigilants, six semaines plus tard....

Keltra est là, dans la salle de réunion, en train de consulter un dossier, imperméable aux jurons de Snow en provenance de la salle de contrôle. Je m'approche et lui demande : « - alors, comment va-t-elle ? »
« - Bien, très bien même. Elle ne semble pas souffrir le moins du monde de ne pas avoir vraiment d'histoire ou d'avoir eu une croissance accélérée en cuve. »
« - J'avais vraiment eu peur de ne pas avoir pris la bonne décision. Je me suis toujours demandée si tu n'aurais pas préféré que j'incendie le labo en la laissant dedans. »
« - Mais non, Alderante, pas du tout. Au contraire, tu as très bien fait. Tu la considères peut-être comme une expérience, mais c'est une personne. Elle n'a pas eu d'enfance, c'est tout. Et puis, elle n'était en rien coupable. C'est une victime. Si seulement elle voulait bien ne pas me considérer comme sa mère. »

J'éclate de rire. Je ne peux m'empêcher d'imaginer le couple improbable formé par Keltra et Gore, les « parents » de Jane, puisque c'est à partir d'une combinaison de leurs gênes qu'elle a été conçue.
Néanmoins, je ne peux m'empêcher de penser que c'est une bonne chose pour Keltra. Ca lui rendra peut-être un peu de l'humanité qu'elle a perdue au fil des épreuves qu'elle a traversées et des combats qu'elle a menés.
« - Et Gore, l'a-t-elle vu ? Elle n'a pas été choquée ? »
« - Gore n'est pas souvent là en ce moment. Mais elle l'a rencontré une fois, oui. Et je te rassure, elle n'a pas développé les mêmes préjugés que la plupart des gens normaux. En ce qui te concerne, tu sais maintenant de quoi la comtesse est capable. Elle nous a conduit à intervenir dans un de ses laboratoires uniquement dans le but de récolter notre matériel génétique pour mener à bien cette expérimentation ».

Et oui, je le sais... Je me force à sourire, mais ce n'est pas ça qui me rassure le moins du monde sur mon propre avenir. Au contraire...