Un bon bain bien chaud, une douce musique en fond, quelques chandelles pour éclairer faiblement la salle de bain. Rien de tel pour se détendre un peu après avoir passé sa journée à courir après des Hellions et des Krânes. C'est fou comment ces mauviettes pouvaient se débiner dès qu'on éteignait la lumière.
"Ca y est! Je commence à penser comme Falcata.", pensais-je en regardant paresseusement les volutes de vapeur s'envoler au plafond.
Ca faisait plusieurs mois que j'étais coincée dans ce monde. Et nulle trace d'un quelconque écrit qui me permettrait de rentrer chez moi d'une façon ou d'une autre. Il y avait bien ce groupe de mages cinglés, le Cercle des Epines mais je n'avais pu me frotter pour le moment qu'au menu fretin. Il y avait aussi cette organisation gouvernementale, la Portal Corp, qui avait la possibilité d'envoyer des gens dans des univers parallèles à celui-ci. Mais là encore, je n'avais ni la puissance, ni le niveau d'accréditation nécessaire ne serait-ce que pour aller les voir.
Je repensais à tout ce qui m'était arrivé depuis que j'avais atterri à Paragon. Mon entrée à la Freedom Corp, le développement de mes sorts d'ombre dont j'ignorai toujours l'origine mais qui s'averraient de plus en plus puissants à mesure que mon niveau de sécurité sur l'échelle de la Freedom Corp montait, et c'était pareil pour ma maîtrise de la foudre. J'avais aussi appris à voler, ou plutôt, à flotter dans l'air, ce n'était qu'un début, mais c'était déjà ça. Et voilà que soudain, je me retrouvais toute seule...
Tout était arrivé très vite. Falcata m'avait demandé de l'accompagner pour empêcher les mages du Cercle à lancer un rituel qui devait noyer les Crevasses sous les eaux. Non que je m'inquiétasse vraiment pour les trolls et les parias qui passaient leur temps a s'y battre, mais quand même, s'ils noyaient les Crevasses, ils risquaient aussi d'essayer ailleurs. Enfin bref, nous nettoyions la grotte de tous les magiciens que nous croisions. Ils ne pouvaient rien faire contre le sabre aiguisé de mon amie et je prenais moi-même un malin plaisir à retourner leurs sombres pouvoirs contre eux-mêmes. J'avais laissé Jenny prendre un peu d'avance pendant que je finissais de montrer à un porteur d'épines à quoi pouvait bien ressembler l'enfer. Il y eu un cri et un grand rire macabre. Quand j'arrivais sur les lieux, le spectre achevait de se repaître du corps à présent inerte de ma partenaire. La rage monta en moi et je lâchai toute ma puissance sur l'infâme créature. Je quittais la grotte la mort dans l'âme, je n'avais rien pu faire pour aider mon amie ...
Je devais trouver d'autres héros. Encore une fois la Freedom Corp me fut salutaire. Ils maintenaient une liste plus ou moins exhaustive de l'ensemble des super-groupes de héros. Trois groupes en particulier attirèrent mon attention, il s'agissait de groupes uniquement composés d'héroïnes. Le premier me semblait superficiel au possible. L'équipe des superbelles, un peu prétentieux comme nom, je ne me voyais pas me pavaner au milieu de donzelles qui risquaient de frôler la crise d'hystérie à chaque fois qu'un vilain oserait ne serait-ce que les décoiffer. Venaient ensuite les Girls of Liberty. J'avaient noué des contacts intéressants avec quelques unes, mais cela aurait été plutôt ironique de me retrouver chez les filles de la liberté, moi qui était piégée dans ce monde sans moyen apparent de m'en échapper. Restait un groupe, les Déesses du Châtiment. Je doutais qu'aucune d'entre elles ait un véritable statut divin, mais il y avait un je-ne-sais-quoi qui m'attirait. Je laissais un message crypté sur leur site Internet et Violina, leur leader à l'époque, m'indiqua qui contacter. Finalement, je tombais presque par hasard sur Aeterna, qui m'introduisit aux autres filles, très simplement.
Je trouvais assez rapidement mes marques. C'était d'autant plus facile que nous nous regroupions souvent entre nous pour écumer tel ou tel quartier, châtiant sans ménagement les criminels qui auraient l'impudence de croiser notre chemin. D'un autre côté, on avait toutes notre indépendance, et je pouvais régulièrement vaquer à mes propres affaires.
La sonnerie stridente du visiophone me fit soudain sortir de ma rêverie et de mes vieux souvenirs. Je m'extirpais à grand regret de ma baignoire pour aller répondre. C'était Flamethrower, un blaster qui m'avait contacté régulièrement ces dernières semaines. Apparemment, il avait encore une autre mission à me proposer, pour quelle autre raison m'aurait-il appelée à cette heure tardive sinon ? J'activai le canal crypté et pris l'appel.
"Salut, Lady ..."
Il arrêta net sa phrase en me voyant. Il fut soudain plus rouge que son masque, le souffle sembla lui manquer mais son regard était particulièrement explicite. Je n'avais pas pris le temps d'enfiler mon peignoir et le bonhomme ne pouvait pas s'empêcher de dévorer ma poitrine du regard. S'il avait pu, je pense qu'il aurait traversé l'écran. Je relevais aussitôt l'objectif de la caméra pour la recentrer sur mon visage.
"Alors Flame, j'imagine que tu ne m'appelle pas que pour m'admirer. Qu'est-ce qui me vaut le plaisir de ton appel?
- Tout le plaisir est pour moi, ma poule", ricana-t-il. Il se releva un peu, comme si le fait d'être en haut de l'écran allait lui permettre de revoir ce qu'il y avait en bas chez moi. "C'est moi l'incendiaire et c'est toi qui me met le feu. C'est le monde à l'envers.
- Plus tard, si t'es sage, on verra ce que je peux faire pour te soulager de ta condition de pauvre mâle sans défense. Qu'est-ce que tu veux?
- J'ai peut-être un tuyau qui pourrait t'intéresser. Je connais un garde du Cercle qui m'a dit qu'il y a quelques années, il participait à des rituels pour envoyer des béhémoths dans un autre plan. Ca a pas fait tilt jusqu'à maintenant, mais en fait, ils ont arrêté peu avant que tu débarques par ici. Y a p't'et' un lien entre eux et toi.
- Tu m'accuses d'appartenir au Cercle ou quoi ? Tu devrais savoir que s'il y a bien un groupe que je hais par-dessus tout, c'est bien ces fumiers et leurs maudites bestioles!"
La caméra commençait à pencher dangereusement, je ne laissais pas le temps à mon acolyte de penser à essayer de se rincer l'œil à nouveau et relevais l'engin de quelques centimètres.
"Cela dit, s'il peut m'apprendre l'incantation ou au moins m'expliquer une partie du rituel, ça m'intéresse, forcément. Tu prends contact avec ton gars et tu me rappelles, ok ?
- J'ai mieux que ça, apparemment, ils veulent en fait remettre ça. D'après lui, ils ont l'intention d'aller conquérir ce monde. Etant donné que le mage qu'ils aidaient là-bas n'a plus donné signe de vie depuis plusieurs années, ça signifierait qu'il a été vaincu, et donc que le Cercle a le champ libre pour prendre sa place.
- J'ai compris, ça doit se faire où ?
- Founders'Falls, j'y suis déjà avec quelques autres amis, ça pourrait être assez dangereux. Mais après, on pourrait aller boire un verre tous les deux et ensuite on ..."
J'avais déjà coupé la communication, pas la peine de le laisser finir, l'éclat dans ses yeux avait parlé pour lui avant même qu'il ouvre la bouche. Ah! Ces mecs!
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Nous étions cinq. Flamethrower s'était improvisé leader de la petite troupe, il attendait nerveusement à l'entrée de la grotte, scrutant les environs à l'affût de l'approche d'un mage du Cercle ou d'une créature de la Terre Nourricière. Etait également présent Tenebrus, un colosse à la force herculéenne qui maniait avec une grâce et une adresse étonnante une gigantesque épée que je ne pourrai sans doute jamais soulever. Dans un coin, lévitant légèrement en position de lotus, Imagina méditait. On aurait pu croire qu'ainsi, les yeux clos, elle était inoffensif et facile à attaquer, mais un troisième œil, fiché au milieu du front, était, lui, bien ouvert et aux aguets. Nul doute qu'elle aurait pu tuer quelqu'un sans même sortir de sa trance. Une petite bonne femme atterrit devant Flame. Avec une corpulence aussi frêle, on aurait pu la prendre pour une enfant. Je me rendis compte que Frosine allait jouer un rôle majeur dans le groupe lorsqu'une véritable carapace de glace et de cristal se forma autour d'elle. La température chuta d'un coup et je frissonnais alors qu'on était en plein mois de juin. Il était temps pour le groupe d'entrer dans ...
Orenbega. Le siège principal des forces du Cercle des Epines. Nous étions comme des lapins en train de foncer tout droit dans la gueule du loup. J'étais pourtant prête à lui couper la langue s'il le fallait. J'avais une occasion en or de trouver un moyen de rentrer chez moi, même si pour cela je devais passer sur quelques cadavres, y compris ceux de mes compagnons. Ceux-ci d'ailleurs, n'avaient aucune idée de mes réelles motivations, pas même Flamethrower.
Nous avancions prudemment. Inutile en effet de sonner l'alerte dès notre arrivée, le rituel serait arrêté sur le champ et l'expédition aurait alors pu rentrer à la maison tout de suite. J'obscurcissais les couloirs que nous traversions. Dans la noirceur augmentée, les gardes ne nous voyaient pas. Nous nous faufilâmes dans les couloirs étroits, invisibles et silencieux. Les mages allaient et venaient tels des abeilles dans une ruche. Il y en avait tant qu'il aurait été impossible de les combattre tous.
Les mélopées lancinantes des sorciers ressemblaient à des berceuses macabres mais ce qui nous attirait inévitablement, c'était les rugissements tonitruants qui provenaient des profondeurs de la Cité. La salle sur laquelle nous débouchâmes était gigantesque. Bien que faiblement éclairée, on pouvait voir qu'elle faisait plusieurs centaines de mètres de côté. C'était plein de Béhémoths de toutes tailles ! La plupart semblaient attendre quelque chose et certains se battaient, plus ou moins ouvertement. Une salle d'entraînement. Nous avions sous les yeux l'armée d'invasion du Cercle. Je fis quelques pas en arrière alors que les souvenirs de mon combat contre le Béhémoth me revenait, après tant d'années. Tenebrus aussi eu une réaction. Il lâcha un sifflement. La main du géant s'était instinctivement posée sur la poignée de sa grande épée. Frosine arrêta son geste. Hors de question de combattre ça, pas à 5 en tous cas. Il fallait trouver le maître de cérémonie, et vite.
Flamethrower pointa du doigt un sorcier qui semblait attendre près de l'autre sortie de la salle.
"C'est notre homme, je le reconnais"
Il n'avait pas dit un mot et pourtant j'avais "entendu" cette phrase bien distinctement. Je regardais tour à tour mes compagnons pour savoir si j'avais rêvé ou pas. Imagina me souris quand je m'arrêtais sur elle.
"Un simple lien télépathique, ils ne pourront pas nous entendre nous parler ainsi. Je vais faire en sorte qu'il nous voit et qu'on puisse discuter avec lui sans alerter personne. Pourvu qu'il ne nous trahisse pas, tu es sur de lui Flamy?
-Vas y, au pire, on est tous bon pour une ballade à l'hôpital."
Le mage fit demi-tour, nous le suivîmes dans le sombre couloir.
"Venez, suivez moi, c'est par ici. Je vais fermer le passage derrière nous, vous ne voudriez pas voir les démons nous tomber dessus maintenant, n'est-ce pas?"
J'aurais juré qu'il aurait ri s'il avait parlé. Voir notre seule porte de sortie se refermer comme cela ne me rassurait guère. Mais il valait mieux ça qu'un aller simple vers l'hôpital le plus proche ... ou pire. Nous entrâmes dans une autre salle, aux proportions similaires à la précédente. Cinq portails étaient disposés autour d'un grand pentacle taillé à même le sol. Et au centre du Pentacle se tenait Astator l'Invocateur, seul.
"Frère Solon, tu as amené nos invités je vois. Préparez vous mes amis, vous arrivez juste à l'heure pour le sacrifice et le festin."
Un piège! Je l'avais senti dès le départ. Cette fois, il ne s'agissait pas de se battre pour la vie de nos concitoyens, mais bel et bien pour notre survie à nous!
Solon s'effondra soudainement, une lame de feu plantée dans le dos. S'il y avait une chose que Flamethrower détestait plus que les vilains, c'était bien les traitres. Frosine s'était jetée sur Astator. Son armure cristalline semblait flamboyer avec les reflets des torches disséminées un peu partout autour de la pièce. Elle assomma le magicien dans un coup de tonnerre lumineux alors que Tenebrus chargeait à son tour. De mon côté, je préparais mes propres invocations. Je manquais m'arrêter net en voyant sortir des murs plusieurs dizaines de Seigneurs spectraux. Le piège se déroulait devant nous, le combat allait être rude, si nous devions en sortir vivants. Mon serviteur noir attaqua 3 spectres, j'en prenais un moi-même pendant que les invocations d'Imagina venaient semer la zizanie dans les rangs ennemis. Les spectres tombaient les uns après les autres, mais plus nous en bannissions, plus il en arrivait. Astator était tombé depuis longtemps mais sa mort avait semble-t-il déclenché la fureur des esprits d'Orenbega.
Flamethrower et Tenebrus tombèrent presque ensemble sous les coups des fantômes maléfiques. J'achevais mon ennemi d'une puissante décharge électrique puis téléportait les deux corps l'un à côté de l'autre.
"Qu'est ce que tu fais?", me cria Imagina alors qu'elle drainait l'énergie d'un spectre pour nous soigner.
"Regarde bien!"
Je me concentrais sur le même spectre que celui qui occupait ma partenaire. La pièce s'assombrit brusquement pendant que j'aspirais l'essence du spectre. Ce dernier disparut dans un cri d'agonie pendant que mes deux compagnons d'infortune s'élevaient dans les airs, comme portés par de puissants bras fantomatiques.